mardi 10 juillet 2012

L'Art français de la guerre de A.Jenny


Qu’est-ce qu’un héros ? Ni un vivant ni un mort, un être qui pénètre dans l’autre monde et qui en revient.» À la lumière de cette citation de Pascal Quignard, on mesure mieux la personnalité du capitaine Victorien Salagnon, personnage central et ambigu de ce gros roman, et le dialogue qu’il noue avec un jeune homme désoeuvré, reclus dans la banlieue lyonnaise, qui passe son temps à trafiquer ses arrêts de travail, à faire l’amour, à boire et à regarder des films de guerre. L’ex-parachutiste raconte avec un mélange d’horreur et de pudeur, à son cadet fasciné, les conflits où il a servi. En échange, il l’initie au maniement de l’encre.




L’Art français de la guerre : un titre bien rébarbatif, où Alexis Jenni, né en 1963, et dont c’est le premier ouvrage, parcourt vingt-neuf ans de colonisation française. L’Indochine, le Viêtnam, l’Algérie. On pourrait croire à une réflexion sur l’absurdité des conquêtes, si l’auteur ne portait son récit à des hauteurs spirituelles, avec un style parfait d’équilibre. Il va plus loin que Camus, lequel n’envisageait pas une Algérie non française.



Les guerres de colonisation ont fait couler autant d’encre que de sang. C’est à l’encre que s’attache l’ex-officier. Celle dont il tirait, sur le papier, entre deux coups de canon, la pureté que la confusion générale interdisait. Celle qui noircit les Mémoires du général de Gaulle, baptisé «le Romancier», champion du mentir-vrai, quand il travestit ce qui gêne et passe sous silence ce qui dérange. De Gaulle est le plus grand menteur de tous les temps, mais il l’était comme mentent les romanciers. Il construisit par son verbe, pièce à pièce, la légende dont nous avions besoin pour habiter le XXe siècle». De Gaulle menteur ? Avant mai 1968, il avait écrit que l’Algérie française était une utopie ; quand il a constaté à Alger l’immense ferveur des pieds-noirs et la possibilité d’une amitié franco-musulmane, il a cru un moment que la chose était possible. Il a très vite déchanté. Son « Je vous ai compris » était-il sincère, avant sa volte-face, ou bien voulait-il faire avaler progressivement la couleuvre ? Les avis ont toujours divergé. Mais Alexis Jenni tient à la thèse de l’anagogie. Dans la jungle des partis pris, avoir un ennemi simplifie et rassure. Dans les livres, on en triomphe toujours. Ni Bodard ni Kessel, Jenni condamne l’héroïsme. Les guerres de colonisation sont de sales guerres, suivies de parfaits exemples de décolonisation ratée.



Le maître et l’élève trouvent la source de la sauvagerie coloniale dans l’exacerbation des différences et de l’identité nationale, dans l’obsession de la race et de la « ressemblance héréditaire », d’où découle le sectarisme. L’amour, le désir sexuel, l’art leur paraissent de saines alternatives, capables de transfigurer la haine aveugle : « Comment supporterais-je cet encombrement qu’est l’autre, si le désir que j’ai de lui ne me fait pas tout lui pardonner ? » Et sans désir de l’autre, que reste-il, sinon l’envie de le voir disparaître ? L’identité selon Alexis Jenni est à trouver dans le langage et le sexe, sous un ciel de neige peint à l’encre noire.



Mais tout est guerre, selon lui ; « la taupe cannibale » de la furia francese rampe et gronde partout, même en temps de paix. Dans le couple ; lors des émeutes ; dans les files d’attente devant une pharmacie de nuit où l’on cherche à grappiller une place ; dans l’acte de consommer (le narrateur lit le mot « enfant » sur une barquette de viande, à côté d’abats étiquetés « animaux »). Violence partout tapie, partout à l’oeuvre. L’État lui-même « veut que l’autre se taise ; il faut le réduire à quia, trancher sa gorge parlante ».



La torture est au coeur du débat, jamais décrite, non plus que le compagnon du narrateur ne s’englue dans la poliorcétique des combats (l’art d’assiéger les villes). Il rappelle que «le français est la langue internationale de l’interrogatoire». L’impossible situation des pieds-noirs installe la perfide question de la race, « l’idée visible qui permet le contrôle. La ressemblance physique, confondue avec l’identité, permet le maintien de l’ordre ». Quand le narrateur demande au vétéran s’il a torturé, l’autre répond qu’il a fait pis : «Nous avons manqué à l’humanité.» Tout ce livre tient au creux d’une phrase : «On n’apprend pas impunément la liberté, l’égalité et la fraternité à des gens à qui on les refuse».



Inconnu dans le milieu de l’édition, Alexis Jenni ne le restera pas longtemps. Ce premier roman, chef-d’oeuvre de mesure, que rehaussent l’art et le désir salvateurs, est un coup de maître.





Par Vincent Landel




1 commentaire:

  1. quel blogue talentueux:))))
    merci:)))))

    puis-je vous offrir
    un de mes poèmes?

    M'EN VA T'CONTER UNE HISTOIRE VRAIE

    c'était un soir de carnaval
    vers les minuit silence total
    j'ai pris l'micro j'ai dit ça y est
    mesdames messieurs c'est important
    la p'tite Julie fête ses 5 ans

    t'aras du voir la foule chanter
    un beau bonne fête à écouter
    sans même bouger sans dire un mot
    la p'tite avait les yeux plein d'eau

    on aurait dit comme une poupée
    avec un coeur tout déchiré

    5 ans
    si tendre
    j'pouvais pas l'croire

    j'ai dit Julie ca va être ton soir
    tu vas choisir l'homme le plus beau
    donnes-y un bec c'est ton cadeau

    deux larmes
    coulèrent
    ses joues
    d'l'enfant

    lentement elle marcha vers l'arriere
    où des biberons buvaient leur bière
    des beaux nez rouges pis des cheveux blancs

    a dit
    le plus beau c'est mon grand père

    le vieux l'embrassa en braillant
    tellement y était fier pis content
    moé ben surpris j'es r'gardais faire

    d'ens bras l'un de l'autre
    y sont restés
    à s'consoler
    pis à s'moucher

    moé j'tourne la tête
    pis j'pars la valse
    c'est là que j'ai vu
    l'plus beau d'la fête

    une belle jeune fille de 19 ans
    valsait son père en l'embrassant
    un bec su l'front un bec sa joue
    en riait fort en disant vous

    le père s'sentait un peu gêné
    tout en gardant l'air distingué

    un p'tit clin d'oeil pour le chanteur
    ça m'a comme éclater l'coeur

    ça doit être ça l'paradis
    même si le corps devient poussière
    l'amour fait chanter nos misères
    quand ça nous vient des petits
    de nos petits

    Pierrot
    vagabond céleste

    Pierrot est l'auteur de l'Île de l'éternité de l'instant présent et des Chansons de Pierrot. Il fut cofondateur de la boîte à chanson Aux deux Pierrots. Il fut aussi l'un des tous premiers chansonniers du Saint-Vincent, dans le Vieux-Montréal. Pierre Rochette, poète, chansonnier et compositeur, est présentement sur la route, quelque part avec sa guitare, entre ici et ailleurs...

    Pierrot
    vagabond céleste
    www.reveursequitables.com
    www.enracontantpierrot.blogspot.com

    www.tvc-vm.com/studio-direct-2-35-1/le/vagabond/celeste/de/simon/gauthier



    LE VAGABOND CÉLESTE - SIMON GAUTHIER
    Le 2 avril 2013 à 20h00 - LITTÉRATURE ET POÉSIE
    Maison de la culture Côte-des-Neiges5290, chemin Côte-des-Neiges, Montréal, (Québec)

    Pierrot rêve de tout changer; il troque sa maison contre une paire de bottes, pour aller plus loin dans sa vie ! Depuis, il parcourt le Québec. Le rencontrer, c'est recevoir un grand souffle de poésie qui nous étreint, comme des bras chauds venus nous réconforter durant une nuit d'hiver sans abri ! Un récit émouvant, porteur d'avenir.

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